Rencontre avec Madame et Monsieur Fuscielli
Le goût des choses simples
J'ai rencontré Madame et Monsieur Fuscielli un jour de février dernier. Le couple faisait alors un séjour, le plus bref possible, dans la maison qu'ils ont conservée au bas des Pierres Blanches, de l'autre côté de l'ancien chemin de la Lanterne, à droite juste avant les escaliers. C'est la maison de leurs enfants à présent. Le jour où nous nous sommes rencontrés ils avaient hâte d'en finir avec les rendez-vous chez des médecins niçois et de remonter vraiment chez eux, à Sigale. Là-haut dans l'Estéron, ils sont “seuls en-dessous le village”, ils ont “un voisin dans un chalet un peu plus haut et c'est tout”. Là-haut ils s'occupent de leurs 97 oliviers et font eux-mêmes leur huile au moulin de Gilette. Là-haut leur fils adore venir chasser : en témoignent les murs de la maison niçoise qui sont décorés de bucranes de chevreuils et de chamois tandis qu'une impressionnante tête de sanglier surgit du manteau de la cheminée. Là-haut à Sigale les gens qui montent les voir leur disent « Vous êtes au paradis ! ». “C'est pour ça que quand on est là [à Nice] on n'a qu'une hâte, c'est de vite remonter”. Chez les Fuscielli tout parle de l'amour des choses simples : la compagnie d'un joli oiseau bavard, et les succulents beignets aux pommes (les fameux beignets de Carnaval !) que Madame Fuscielli a préparés pour m'accueillir.
On se saluait d'un côté à l'autre du vallon
Mais je ne viens pas les voir pour leur parler de Sigale, je viens pour tout savoir sur leur paradis d'avant, celui qui disparaît peu à peu à leurs yeux, celui dont je suis tombée amoureuse et qu'eux ont cessé d'aimer. Ils le savent et ils ont même pensé à m'amener quelques photos d'autrefois.
“Avant à la Lanterne, c'était tout comme à Sigale.” Mais quand ils reviennent à la Lanterne maitenant, “avec tout ce qui s'est fait tout autour, et ils en font toujours”, ils “ne reconnaissent plus".
"- Quand on revient d'un séjour à Sigale, nous on n'est plus habitués, il nous faut un jour ou deux pour s'habituer aux avions. Par contre ma fille en bas entend moins. Quelqu'un qui n'a pas connu avant comme vous, vous trouvez le coin merveilleux. Mais quelqu'un qui comme nous, on est presque nés ici, on a vu tout ça, de ce côté c'était tout campagne et de l'autre côté c'était tout campagne, on se parlait d'une rive à l'autre [du Guattamua*], on se faisait signe ! Et maintenant il n'y a plus rien, les copains, les amis, les cultivateurs qu'on connaissait, y a plus personne. Les gens, là (il désigne l'extérieur), ne parlent pas. Le premier voisin c'était Monsieur Brachet (actuellement c'est le fils Emmanuel, les parents sont morts), la maison en bas, la première quand on monte, c'était un autre Brachet et la 3e aussi (Brachet Octave). Donc les Brachet ont les 3 maisons à gauche. "
" - Vous devriez savoir, toute la vue sur Nice, venez voir maintenant."
"- Lorsqu'on a acheté ici, je me mettais à la fenêtre pour voir le carnaval, je voyais tout, maintenant je ne vois plus qu'un petit bout de Nice."
Aux Pierres Blanches, les Fuscielli avaient des chèvres, des poules, des lapins, des pigeons.
Cliquer sur la photo pour agrandir - Une des chèvres qui permettait à Madame Fuscielli de faire du fromage... La photo a été prise là où quelques oliviers subsistent encore, du côté du petit chemin qui relie le bâtiment 2 à l'entrée nord de la piscine, et au-dessus de la résidence Belvédère de Fabron.
Madame Fuscielli faisait du fromage avec le lait de chèvre, pour la consommation familiale. En plus d'élever leurs trois enfants et d'avoir la charge de la maman de son mari qui était devenue impotente, elle travaillait à l'oeillet, elle avait le temps de faire tout ça. « J'avais la santé ! Je ne sais pas si vous êtes croyante, mais enfin moi je crois. On n'a jamais été malades tous les deux, à part quelques rhumes».
C'est son mari qui allait vendre les oeillets sur trois marchés.
"- Le matin il allait à deux criées à Antibes, il revenait, il chargeait, et il allait au MIN (le Marché d'Intérêt National). Et ceux qui n'étaient pas vendus, le lendemain on faisait des petits bouquets pour aller vendre au cours Saleya."
La vente des fleurs : d'abord à Nice au cours Saleya, puis le marché a été transféré au MIN. En 1980 quand ils vendent les terres des Pierres Blanches, les cours de la fleur niçoise commençaient à dégringoler sérieusement.
Travaille, déboutonne
"-Il ne fallait pas compter les heures passées ! " Madame Fuscielli montre ses poignets, torturés par le labeur,
"- Travail travail travail travail travail, déboutonne, déboutonne déboutonne déboutonne... parce qu'il fallait ne laisser qu'une fleur à chaque tige. Quand vous êtes à la fin il faut recommencer. Tant qu'il faisait jour, on ramassait (cueillait ?). Après, une grosse partie de la nuit, jusqu'à 2-3 heures du matin, il fallait faire les bottes. Après, à 5 heures, il fallait se lever pour aller au marché. On dormait peu, même si on se rattrapait un peu à la sieste. Les parents ou les amis, quand ils venaient, ils venaient pas à la maison, ils savaient où nous trouver : ils venaient dans les serres ou dans les salles d'emballage. Seuls un Tunisien et une locataire les aidaient. Le travail était le même pour les hommes et les femmes, mais le terrain était tellement grand, que l'un était d'un côté, l'autre de l'autre. Pendant que l'un faisait l'herbe ou piochait l'autre déboutonnait."
Les maisons voisines
La Pitchounette : à gauche en montant.
La villa Bicarella (Monsieur et Madame Boespflug) : des gens très gentils, leurs enfants et les enfants Fuscielli allaient à l'école ensemble, ils s'attendaient et montaient ensemble. Parce que tous les enfants d'ici montaient seuls à l'école, par le petit sentier, on n'avait pas besoin de les accompagner, “c'est pas comme maintenant”.
Les Bruyères : le proprio s'était caché dans ls souterrain pendant la guerre. C'était un veuf juif espagnol. Souterrain, relié à une espèce de couvent. Il était recherché par les Allemands et il était caché dans ce tunnel. Il n'en sortait jamais. Des fois je remontais là-haut (quand on habitait plus haut), je trouve là-haut avec un camion de soldats allemands « Madame, nous le retouverons, nous le retrouverons! » et la femme disait « Mais je vous dis que mon mari est en Espagne! » « Nous le retrouverons, nous le retrouverons ! ». « Et quand il est sorti après la guerre, il était pas bronzé! » et Monsieur Fuscielli éclate de rire, sa femme aussi. “Mais ça lui a sauvé la vie. Et ils avaient une servante qui était comme ça (il fait un signe avec le pouce), parce qu'elle a jamais rien dévoilé”.Interrogé sur le souterrain, Monsieur Fuscielli répète « C'était des couvents d'avant».
Vers le sud "Le premier voisin c'était Mademoiselle Vaquier qui habitait en bas au fond, où c'est qu'on a fait l'Orée de la Lanterne [Monsieur Brachet fils m'a en effet parlé de Mademoiselle Brachet , fille de notaire, qui a vendu son vaste domaine pour la construction des quatre immeubles de l'Orée de la Lanterne, dont l'un en haut duquel elle habiterait encore de nos jours] .
Après y avait les Brachet, après on y était nous, y avait Carlin plus haut, face au notaire [un autre notaire], derrière la villa Floraline. Villa derrière la Floraline villa (re?)faite il y a une trentaine d'années. Notaire maître Neble
Où il est aussi question là aussi de souterrains
Après c'est l'Olivette elle était rose à l'époque, après il y a une villa sur pilotis, après y a du terrain. MaîtreLeb, on lui a appris que dans sa villa y a des souterrains qui avaient été faits par les Allemands. Donc des souterrains qui n'auraient rien à voir avec ceux de sous les Bruyères. Parce que les Allemands avaient occupé toute la partie de terrains/villa correspondant aux Pierres Blanches, Floraline, Olivette, donnant de ce côté du vallon. Les Allemands avaient fait faire des grands abris par des travailleurs “d'ici.” Monsieur Fuscielli lui-même a été contraint de creuser ces tunnels, comme des mineurs. Soutènement en bois, rondins, planches, dans ces souterrains on trouvait téléphone et électricité. M. Fuscielli,lui, a travaillé au premier souterrain, celui qui faisait communiquer les Pierres Blanches avec la villa Floraline, et ça remontait jusqu'à l'autre propriété encore derrière (ils veut dire plus haut). Il est persuadé que ces souterrains existent encore.
“- Qui ce serait qui aurait démoli ça ? Et les propriétaires ou les locataires, ils savent pas qu'il ya ces trucs”. L'accès se faisait par le vallon : par le haut on allait en bas, et les entrées de tous ces souterrains doivent toujours exister. Tout au plus ça doit être bouché par les broussailles."
"- Quand ils ont été canardés par la marine, juste avant la libération. Les Italiens étaient restés un an. Quand ils avaient renversé Mussolini, jusquà Toulon y avait l'armée. Ils allaient pas par les routes parce qu'ils avaient peur des Allemands, comme ils les avaient trahis, ils avaient été obligés de laisser 1200 motos. Ils sont partis à pied à travers la colline. Ils passaient voir si on pouvait leur passer des vêtements civils."
Les parents de Monsieur Fuscielli ne travaillaient pas pour Madame Dalmas : depuis 1926 ils étaient locataires. Les Dalmas avaient juste la maison-mère, avec le terrain qui était derrière la maison et autour. A partir de la maison-mère il y avait une grande allée avec un terrain d'un côté, un terrain de l'autre. Et cette allée menait jusque chez nous. Alors on avait toute la partie là et toute la partie devant la maison qui descendait jusqu'au vallon. Avant, les Fuscielli étaient sur la Corniche Fleurie (Monsieur Fuscielli y est né en 1924). Monsieur Fuscielli a repris l'exploitation de ses parents en 1945, après il s'est marié, et ils sont restés “jusqu'à temps” qu'ils [les Dalmas] vendent, en 1980.
"-A lépoque, l'ancien chemin de la Lanterne, c'était un petit accès qui descend, mais pas concevable de faire construire avec un chemin comme ça en escalier. Alors comme ils faisaient la route au fond [du vallon de Gattamua, maintenant parcouru par le boulevard de Montréal), (d'ailleurs tous les terrassements, toutes les excavations, tous les creusements qu'ils ont faits pour tous les immeubles, ils ont tout versé là, au fond de Gattamua, pour combler de 20 mètres par rapport au fond du vallon.) Donc ils ont créé cette voie qui descend en bas [là Monsieur Fuscielli parle des deux virages de raccordement entre Montréal et ancien chemin de la Lanterne] . Et ça a permis de faire les immeubles. C'est à ce moment que la mairie a voulu nous exproprier pour faire la route [la voie de raccordement a coupé en deux ce qui était leurs terres] soit nous enlever 6000 mètres de terrain. Alors la partie que l'on vous paye, ne fera plus partie du COS. 100 appartements à l'hectare et il y avait 2 hectares et demi. Cette voie ils l'ont imposée à la mairie, la mairie a payé. A chaque fois c'est pareil : vous faîtes l'immeuble mais vous faîtes la voie (même chose pour Napoléon III). "
"-Tout s'est construit à peu près en même temps. Arcadia : vers 1960 (avant les immeubles, il y avait une propriété immense qui appartanit au roi de la margarine, la villa et l'entrée étaient en haut, là où actuellement l'avenue de la Lanterne rejoint la Corniche Fleurie, la propriété était immense et continuait même en- dessous de Napoléon III). "
1956 : le frère et la soeur Dalmas, Pierre et Blanche, n'avaient qu'une nièce, et cette nièce c'était l'héritière.
"- Or une nièce paye 75% de la valeur du montant de l'héritage. En vendant, y z'ydonnent l'argent, et psst l'état leur doit plus rien. Donc la nièce ce qui l'intéressait, c'était de vendre (sinon elle devait 5 millions à l'état). Et nous, soit on achetait, soit on s'en allait ailleurs."
1980 : après 24 ans de bonne exploitation florale comme propriétaires terriens, les Fuscielli vendent à leur tour. Les grands virages de raccordement de l'ancien chemin de la Lanterne au boulevard de Montréal sont faits à ce moment et les deux immeubles des Pierres Blanches sortent de terre un an ou un an et demi après.
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